Palestine septembre noir 1970
Les photos sont de moi. Paris-Match voulait les publier, au dernier moment on m’a averti qu’il préférait en publier d’autres, faites par un pro, moins bougées, mieux cadrées, plus belles, en vertu de leur slogan « Le choc des photos le poids des mots ». Je leur ai dit que pour moi c’était plutôt le choc des mots et le poids des images et que pour la prochaine fois ils pourraient mettre à ma disposition un Hasselblad avec un trépied.
Historiole d’un moment d’égarement.
En juillet 1968, au sortir de l’émoi de mai, je répondais à un appel public de la Croix-Rouge.
Il s’agissait de constituer la première équipe médicale qui devait se rendre au Biafra, pour porter assistance à personnes en danger.
Rendue sur place notre mission a commencé à prendre la mesure d’un désastre humanitaire sans précédent sur le continent africain.
Bernard Kouchner, dont je faisais connaissance, fut le premier à le qualifier d’être le résultat d’un génocide calculé.
J’ai fait du compte rendu de notre travail là-bas le sujet de ma thèse de médecine : Organisation et résultats du travail d’une équipe médico-chirurgicale de La Croix-Rouge Internationale au Biafra (en ligne sur le site)->article69.
À la relire 40 ans après, je me rends compte du degré de mon égarement en ce temps de mon historiole… il n’empêche que j’y suis allé quand même, en quoi l’acte est décidé par l’objet qui cause le désir avant même que le sujet en sache quoique ce soit.
Mon ami Pierre Viansson-Ponté, me disait de Bernard Kouchner qu’il était un animal politique. Il l’a prouvé par la suite.
Contrairement à l’image que les médias veulent donner de lui, Kouchner ne s’est jamais renié. Il boira jusqu’à la lie le breuvage qu’il a consenti à prendre de lui-même.
Il n’est pas homme à se laisser forcer la main.
Politique par réalisme, humanitaire par désir.
Lacan a fustigé « l’humanitairerie de commande », et ses élèves, parmi lesquels je me compte, ont peut-être compris un peu trop vite ce qu’ils croyaient de ce que Lacan voulait dire. C’est sans doute pourquoi en bandes ils ont en partage la veulerie et la bêtise collective.
Lacan visait essentiellement la fraternité des corps dont s’engendre le racisme et non pas la fraternité de discours.
En septembre 1970, Septembre noir pour la Palestine
Marcel-Francis Kahn à constitué une équipe médicale de 40 médecins et infirmières, gauchistes, maoïstes, trotskystes, anarchistes, pour se rendre à Amman sous la protection du Fatah, afin de porter secours à la population civile des camps de réfugiés palestiniens bombardés et attaqués par les blindés du Roi Hussein de Jordanie.
Il y avait, entre autres dont j’ai oublié le nom mais pas le visage quand je regarde cette photo, Pascale Belot-Garnier, Christian Garnier, Patrick Nochy, René Friedman, Jean-Daniel Rainhorn, Jean-Paul Vernant, Arrigo Lessana, F. Fiedler, Patrick Combalitch, etc.
Nous avons rempli notre mission comme nous avons pu.
Même les autorités Jordaniennes qui faisaient mine de ne rien savoir de notre présence clandestine dans leur capitale, ont fini par nous donner du matériel pour équiper nos deux blocs opératoires de fortune et nos dispensaires médicaux.
Charlotte Viansson-Ponté, que j’ai aimé jusqu’à la folie, me sollicitait tout en se dérobant. Elle me disait de m’éloigner d’elle, parce que même si elle le désirait elle ne pourrait pas me donner d’enfant, en raison de sa fréquentation forcée d’une faiseuse d’ange.
En 1972, sous l’impulsion de Patrick Nochy Jean-Daniel Rainhorn et Christine Hammel, ont annoncé publiquement et malgré la loi, qu’ils pratiqueraient désormais des interruptions de grossesses, dans leur cabinet médical à Gennevilliers. Ils étaient avec les précédents, rejoints par Colette Bloch-Pisier, Jacques Leibowitch et Marion Élissalt.
Il s’agissait de mettre fin au tricotage de milliers et milliers de femmes par les faiseuses d’anges, qui engendraient souvent des séquelles irréversibles, et des décès.
Simone Veil a pu trouver cet appui pour faire passer la loi qui porte son nom.
Chacun a repris sa route, et moi la mienne pour avoir retrouvé dans le parler ce qu’il me fallait de jouissance pour que mon histoire continue.
Comme une boule de trictrac dans un billard, je suis devenu psychanalyste.
Il me faut savoir le rester.
Je n’ai jamais regretté ces temps d’égarement.
J’étais perdu dans la bonne direction.
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